Système 1 / Système 2 : résumé

Ne vous êtes vous jamais posé de question sur l’esprit humain ? Comme se fait-il que le monde fonctionne ainsi ? Comment est-il possible que certaines personnes se permettent d’en juger d’autres selon des critères raciaux ? Pourquoi réagissons-nous de telle ou telle manière à certains événements ? Pourquoi avons-nous plutôt envie d’acheter tel ou tel produit ? Pourquoi avons-nous des réserves sur certaines personnes au premier abord et pas avec d’autres ?

Dans système 1 / système 2, les deux systèmes de la pensée, Daniel Kahneman nous invite à découvrir ses recherches et celles des psychologues et économistes comportementaux des 50 dernières années.

Erreurs de jugements, création de stéréotypes, comptabilité mentale, relations aux histoires, bref. Si vous vous posez des questions sur l’esprit humain et sa place dans la société, ce livre y répondra très certainement.

Daniel Kahneman est considéré par de nombreux psychologues sociaux comme le grand maître du domaine. Il a passé des dizaines d’années avec son associé Amos Tversky pour percer les secrets de l’esprit humain. Système 1 / Système 2 : les deux systèmes de la pensée représente toute une vie de recherche qui ont démystifié la théorie économique rationaliste du XXᵉ siècle et conduit au premier prix Nobel d’économie octroyé à un psychologue.

Ce livre est dense, presque trop. Les informations sont nombreuses, l’auteur nous rapporte des dizaines d’expériences et nous explique ses résultats basés sur des statistiques. Système 1 / Système 2 n’est pas agréable à lire, de nombreuses personnes le commence sans arriver au bout mais c’est indiscutable : Daniel Kahneman a réussi à condenser en un ouvrage près de cinquante ans de découvertes fondamentales en psychologie sociale.

Il m’est donc impossible de vous proposer un résumé fidèle en seulement quelques milliers de mots. Si vous souhaitez aller plus loin je ne peux que vous conseiller de vous offrir ce livre.

À qui ce livre s’adresse-t-il ?

Ce livre peut s’adresser à tout le monde. Il traite de l’esprit humain et de ses biais et nous pousse à mettre plus de réflexion dans nos jugements. Il nous démontre par la preuve scientifique que nos choix intuitifs sont imparfaits et que tenter de les rationaliser peut être une excellente chose.

Je pense que ce livre est d’une importance capitale pour toutes les personnes qui agissent un moment ou un autre sur un esprit humain. Marketeurs, commerciaux, UX designers, politiciens, journalistes et mêmes juristes et magistrats. Cet ouvrage peut vous expliquer comment fonctionne votre esprit mais aussi celui des cibles de votre activité.

Les deux systèmes de la pensée, les erreurs de l’intuition

L’auteur commence son ouvrage en différenciant le système 1 et le système 2. Nous n’avons pas à proprement parler 2 systèmes de pensée mais c’est un modèle mental, un modèle permettant de simplifier la réalité pour nous aider à mieux la comprendre.

En posant ce postulat initial nous admettons que nous avons deux systèmes de pensée. Le système 1 est notre système automatique, il est toujours en fonctionnement et nous aide à avoir des réactions rapides et intuitives. Le second système, le système 2, est quant à lui rationnel. C’est ce système que nous employons quand nous pensons et réfléchissons activement à quelque chose. Le problème c’est que le système 2 est plutôt fatiguant à employer et lent à mettre en place. Quand nous devons réagir rapidement pour notre survie, c’est le système 1 qui choisit pour nous.

Le second problème c’est que le système 1 est biaisé. À cause des millions d’années d’évolution et de survie en milieu hostile notre système 1 a développé des compétences adaptées à son milieu. Ces compétences ne sont plus adaptées à notre civilisation actuelle. Nous faisons perpétuellement face à des biais cognitifs et des erreurs de jugements.

La machine associative du système 1

Le système 1 fonctionne sur le principe d’association d’idée, l’auteur nous le présente comme une machine associative. Notre système 1 associe des stimuli extérieurs avec des souvenirs qui provoquent eux-mêmes des émotions qui provoquent ensuite des réactions de notre part.

Ce système automatique nous permet par exemple de survivre dans la nature : un lion arrive, on se souvient que ce lion est plutôt dangereux, cela provoque en nous une émotion de peur et dès lors nous réagissons, nous prenons la fuite.

Ce fonctionnement repose sur l’effet d’amorçage. Quel que soit le stimulus, il peut « amorcer » chez nous la machine associative. L’effet Floride en est un parfait exemple : la simple écoute de mots appartenant au champ sémantique de la vieillesse peut nous pousser à nous déplacer plus lentement, à prendre plus de temps à faire des actions.

Le système de l’amorçage, l’association d’idées qui en découlent et les réactions que nous avons ne sont pas à prendre à la légère. Nombreux sont les stimuli pouvant être une amorce : un chiffre lors d’une négociation commerciale, un événement extérieur, des publicités, etc.

L’aisance cognitive

Pour être employable à tout moment et être disponible, le système 1 repose sur l’aisance cognitive. L’aisance cognitive est un effet qui nous installe dans un sentiment de familiarité et nous pousse à ne pas sortir de notre zone de confort.

L’aisance cognitive est appuyée par la familiarité de notre environnement, par la facilité avec laquelle les informations nous viennent et la clarté avec laquelle elles sont émises. En bref, plus le monde autour de nous est « facile » et « familier » plus nous aurons un sentiment de confiance et plus nous aurons confiance dans les informations qui nous viennent.

Le problème c’est que pour savoir si une information est vraie, notre système 1 ne va pas juger en priorité sa qualité et son exhaustivité mais celle de son émission. Qui l’a émise ? Avons-nous confiance en cette personne ou cet organisme ? Cette source nous est-elle familière ? Même depuis peu ?

En plus, pour juger la véracité d’une information nous adoptons la stratégie du test positif. Cette stratégie cérébrale pousse le cerveau à se poser la question : que ferait cette information si elle était vraie ? Nous amorçons l’idée que cette idée est véridique. Pour ceux d’entre nous ayant reçu des cours de négociation commerciale, la stratégie du test positif explique pourquoi on nous apprend à commencer un échange par une proposition tarifaire plus élevée que celle que l’on attend.

La création d’un monde formaté et cohérent

Notre système 1 construit un monde formaté, un monde fonctionnant sur des concepts mentaux. Tout est une catégorie et ces catégories répondent à des critères bien précis. D’un point de vue social on appelle cela des stéréotypes ou des amalgames.

Vous observez déjà une des limites du système 1 : il nous pousse à juger hâtivement notre prochain. On appelle ça l’effet de halo. Notre système 1 va tout rejeter ou adorer en bloc chez une personne. Il va tirer des conclusions sur son comportement par rapport aux normes que nous avons déjà préétablies en nous. Cela a le bénéfice de supprimer l’ambiguïté des situations hostiles mais dans un monde complexe, l’effet de halo a le malheur de nous pousser à tirer des conclusions hâtives et imprécises.

Ce n’est pas tout, comme je vous l’ai dit nous pouvons nous trouver dans un état d’aisance cognitive, un état de confiance. Cet état se base sur notre capacité à construire un monde formaté. Tout correspond à des normes et toutes ces normes sont cohérentes entre elles. Quand un événement, une personne ou quoi que ce soit vient troubler ce monde cohérent, nous essayons d’établir un lien causal entre les conséquences de cet événement et les éléments qui ont pu le causer.

Cela pose un problème de taille. Nous désirons vivre dans un monde cohérent et logique. Nous ne pouvons pas l’imaginer autrement. De ce fait nous essayons de construire une histoire cohérente autour des événements inattendus. Nous accordons bien plus d’importance à la cohérence de cette histoire qu’à sa véracité « factuelle ».

Pour vous permettre de mieux comprendre ce mécanisme je vais prendre un exemple : la théorie du complot.

Pourquoi les théories du complot sont-elles aussi présentes ? Car on accorde moins d’importance à la véracité et à l’exhaustivité des informations qu’à leur cohérence entre elles. Chaque théorie du complot est cohérente. Pourquoi Buch aurait-il jeté un avion sur les tours jumelles ? Pour déclarer la guerre et avoir du pétrole. Cohérent n’est-ce pas ? Pourtant, ce n’est pas forcément vrai.

Le problème de l’heuristique

Daniel Kahneman nous donne cette définition de l’heuristique :

Pour définir techniquement l’heuristique, on peut dire que c’est une procédure simple qui permet de trouver des réponses adéquates, bien que souvent imparfaites, à des questions difficiles.

L’heuristique repose sur la rapidité d’exécution du système 1, sur l’aisance cognitive qu’il nous offre : nous réagissons et prenons rapidement des décisions et ces décisions nous permettent de réagir au mieux à une situation. C’est un moindre mal.

Une des heuristiques les plus courantes est l’heuristique de l’affect. C’est un exemple de substitution (concept que j’aborderai ultérieurement). L’heuristique de l’affect laisse ce que nous aimons ou détestons déterminer nos convictions dans le monde. C’est très pratique car cela permet de faciliter nos réponses à des questions complexes. Quand on va nous demander ce que l’on pense des actions menées par un président, notre système 1 va répondre à une question du type : qu’est-ce que je ressens au sujet de ce président ?

Les heuristiques sont un des éléments qui conditionnent notre perception du monde et nous poussent à le concevoir comme un environnement ordonné et logique rythmé par nos interprétations.

Quand on cherche à répondre à une question, nous allons réaliser des prédictions intuitives. Nous allons naturellement sur-analyser le domaine de la question posée, trouver des équivalences entre des mesures demandées et remplacer une question complexe par une question simple.

Quand on nous demandera à quel point est-ce grave que des chimpanzés meurent pour du Nutella, sans recherche et réflexion poussée, soit, dans 99% des cas, nous y répondrons en substituant la question par une autre, et représentant l’intensité de notre avis sur la question : à quel point la cause des chimpanzés est-elle importante pour moi ?

Notre cerveau nous pousse à commettre des erreurs intuitives et nous ne devrions pas nécessairement agir et répondre rapidement. Prendre le temps de rationaliser et questionner nos biais peut-être une excellente idée.

Pouvons-nous avoir foi en nos jugements ? En nos chances de succès ? En ce que l’on apprend ? Même chez les plus grands ? Pas forcément.

Les réactions biaisées de nos systèmes de pensée nous poussent à analyser faussement des statistiques en trouvant de fausses relations de causes à effet, à commettre des erreurs de prédictions basées trop souvent sur notre intuition, à surévaluer ou sous-évaluer des performances ou encore à créer des histoires causales et cohérentes mais fausses mathématiquement.

Tous les éléments du système 1 nous poussent à subir des biais cognitifs plus ou moins importants. Je ne vais pas tout vous les expliquer ici, ce n’est pas le but de cet article. Je vous invite à vous référer directement à l’ouvrage de Daniel Kahneman ou de faire des recherches sur internet.

Illusion de compréhension

Ces erreurs systématiques de notre intuition nous poussent à commettre de lourdes erreurs. Des erreurs que commettent même les plus grands PDG, investisseur ou responsables étatiques. Des personnes avec d’importantes responsabilités.

L’illusion de compréhension va venir nous pousser à créer un récit causal. Par exemple, un changement de PDG et le succès d’une société dans les années à venir peuvent avoir l’air corrélées. Pourtant ce n’est pas toujours le cas. Cela peut être dû à un changement dans la direction de l’entreprise, l’ouverture de nouveaux marchés dont les résultats étaient plus « long-termistes » que nous n’aurions pas pu apercevoir plus tôt.

Bref, nos systèmes sociaux sont devenus extrêmement complexes, il est donc difficile de savoir quelles actions ont eu des effets positifs et d’autres moins. Les actions que nous menons peuvent avoir des effets iatrogènes masqués ou des résultats inattendus, il sera extrêmement complexe de tirer le vrai du faux.

En science nous cherchons à mener des A/B tests et des tests multi-variables très précis mais dans les systèmes complexes, les variables sont si nombreuses qu’il devient presque impossible de savoir quelles ont été les actions avec du véritable potentiel. Notre esprit enclin à substituer des réponses complexes, victime d’heuristiques et de l’effet de halo nous poussera à un environnement logique potentiellement erroné : une illusion de compréhension.

L’illusion de compréhension est aussi renforcée par le biais de narration, idée mise au point par Nassim Nicholas Taleb. C’est là-dessus que repose toute l’industrie du développement personnel, en particulier aux USA et ses nombreux gourous. Quand on va chercher à théoriser le succès de grands entrepreneurs, les Elon Musk, les Warren Buffett, on vient avec de nombreuses raisons et explications. Des recettes de cuisines et des formations miracles pour réussir. Pourtant on oublie quelque chose d’important : parmi la masse silencieuse qui a échoué, combien sont ceux qui avaient les mêmes compétences ? Combien sont-ceux qui avaient appliqué les mêmes méthodologies ?

Des entrepreneurs, écrivains brillants, il y en a beaucoup mais des entrepreneurs et écrivains brillants qui ont réussi, beaucoup moins.

L’illusion de validité, quand l’expert n’en est pas un

Autre problème majeur des biais cognitifs humains est l’illusion de validité. L’illusion de validité ou de talent est le fait de croire dur comme fer qu’une procédure est valide ou qu’une personne est compétente alors que c’est faux.

Prenez l’exemple de la saignée, combien de personnes sont mortes inutilement parce’que les médecins observant parfois des effets positifs et de rétablissement ont eu l’illusion de la validité de ce traitement ?

Encore une fois, nos heuristiques et erreurs de jugement nous poussent à croire le statu quo, à faire confiance aux procédures, « c’est comme ça qu’on a toujours fait ».

Daniel Kahneman nous rappelle que la confiance n’est pas une mesure fiable. La confiance et en particulier les excès de confiance, masquent une réalité discrète : l’individu confiant adhère simplement à un récit cohérent, pas nécessairement véridique. Méfions-nous des excès de confiance en soi, en particulier quand les conséquences des actions menées peuvent être graves.

L’illusion de l’expertise

Daniel Kahneman nous invite à nous méfier des experts. Le meilleur exemple est pour moi cette crise du COVID-19, combien de médecins épidémiologistes ont eu tort ? Combien se sont contredits ? Chacun avait sa version, son histoire logique.

La réalité est que nous ne pouvons nous fier qu’à l’intuition des experts évoluant dans un monde suffisamment répétitif, avec des retours d’informations rapides qui a permis l’identification de « patterns » par l’épreuve du temps et l’analyse répétée. Ce n’était pas le cas pour les épidémiologistes. Ils n’ont jamais vécu une pandémie mondiale liée à un coronavirus.

Ne nous méprenons-pas, je ne remets aucunement en cause leurs compétences médicales. Je dis simplement que pour la majorité d’entre eux les épidémies en occident n’étaient que des exemples théoriques ou historiques. Ces médecins ne répondaient pas à la définition de l’expert donnée par Daniel Kahneman bien qu’ils en soient.

L’altération des choix

On a longtemps cru que les humains étaient des êtres purement rationnels capables de peser le pour et le contre dans tous leurs choix, je pense qu’aujourd’hui vous comprenez que ce n’est pas tout à fait vrai.

Daniel Kahneman a travaillé sur des théories de la prise de décision qui reposent sur les effets des deux systèmes de pensée et démontrent certaines erreurs de jugement.

D’abord, dans sa théorie des perspectives Daniel Kahneman nous apprend que face à un choix risqué conduisant à des gains nous préférons maximiser les chances de gagner plutôt qu’augmenter la quantité des gains. À l’inverse, face à un choix risqué conduisant à des pertes systématiques, nous jouons quitte ou double. Ceci est lié à l’aversion à la perte et au risque. Nous détestons plus perdre que nous n’aimons gagner, en particulier quand nous avons une relation affective avec un objet ou une personne.

Nous souffrons plus quand nous perdons quelque chose que quand nous n’arrivons pas à réussir. Récemment je revoyais la série Friends et l’exemple de Joey Tribbiani représente parfaitement la théorie des perspectives : Joey a vraiment du mal à faire décoller sa carrière et cela nous fait rire. À un moment, Joey obtient le rôle de Dr Drake Ramoray puis le perd : nous ressentons un réel sentiment d’injustice.

L’aversion au risque nous pousse à rester dans le statu quo. La simple possibilité qu’un risque existe nous pousse à le surévaluer et sommes prêts à investir énormément pour nous en prémunir : C’est le business model des assurances.

Nous ne sommes pas rationnels sur ce sujet et sommes plus sensibles à l’existence du risque qu’à la probabilité qu’il survienne. Seule l’existence du risque importe.

La disponibilité et les événements rares

Basé sur la théorie des perspectives nous pouvons avancer que notre appréciation des risques est totalement biaisée. Cette appréciation l’est d’autant plus que nous analysons des événements rares : on appelle cela la disponibilité.

L’heuristique de disponibilité repose sur la facilité avec laquelle des idées ou des catégories nous viennent à l’esprit. Plus la récupération de l’information, la survenue de souvenir ou l’imagination est facile, plus la catégorie ou l’idée parait importante. Ce principe repose sur la substitution et l’équivalence d’intensité, nous remplaçons une question par une autre : au lieu de se questionner sur la probabilité de la survenue d’un événement ou de l’importance d’une idée, nous jugeons l’aisance avec laquelle des exemples, des illustrations et leurs applications nous viennent à l’esprit.

Pour illustrer la disponibilité je vais reprendre l’exemple du terrorisme avancé par Daniel Kahneman. Nous avons très peu de chance de mourir dans un attentat, bien moins qu’en voiture pour ne citer que cet exemple. Pourtant nous allons plus facilement avoir peur du terrorisme. L’horreur de l’acte et sa symbolique génèrent des émotions, des souvenirs et des craintes très fortes. Cette intensité est gravée dans notre esprit et facilite l’apparition de souvenirs, d’émotions ou d’images liés au terrorisme. Bien plus que ceux liés aux accidents de voiture.

Allié à l’heuristique de l’affect, l’heuristique de la disponibilité biaise totalement notre aperçu des chances d’échec et de succès. Appuyées par le biais de confirmation et la théorie des perspectives, nous sur-évaluons les événements rares dans les 2 sens. Nous sommes prompts à surévaluer la survenue de problèmes et même nos chances de succès : ce dernier point est la clé du capitalisme, nous sommes aveugles quant à nos infimes chances de succès.

Moi expérimentant VS moi mémoriel, la dictature du souvenir

Après avoir vu comment notre cerveau commet régulièrement des erreurs puis comment ces erreurs peuvent s’appliquer dans notre vie, Daniel Kahneman aborde le rapport de nos systèmes cognitifs aux souvenirs et aux histoires.

Kahneman fait encore une fois la distinction entre deux entités : le moi mémoriel et le moi expérimentant.

Le moi expérimentant est celui qui répond à la question : « Est-ce que ça fait mal maintenant ? » Le moi mémoriel est celui qui répond à la question : « C’était comment, dans l’ensemble ? » Les souvenirs sont tout ce qui nous reste de notre expérience de la vie, et la seule perspective que nous pouvons adopter quand nous pensons à notre existence est donc celle du moi mémoriel.

Nous avons donc deux manières d’expérimenter un événement : à travers l’expérimentation directe liée au moi expérimentant et à travers le souvenir de cette expérience lié au moi mémoriel.

Dès lors que notre expérience du présent est terminée, nous nous retrouvons à la merci de notre moi mémoriel. Nous n’avons pas d’autre choix que de repasser par notre moi mémoriel pour revisiter un événement que nous avons vécu.

Le truc c’est que le moi mémoriel est lui aussi sensible aux biais. Il obéit à certaines règles contre intuitives. D’abord, le moi mémoriel obéit à la règle du Peak-end rule. C’est l’analyse rétrospective d’une expérience par rapport au niveau moyen du ressenti au pire et au meilleur moment de l’expérience ainsi qu’au niveau moyen du ressenti à la fin d’une expérience.

Qu’est-ce que ça signifie ? Tout simplement que nous nous remémorons mal notre expérience vécue. Lors d’une opération sans anesthésie par exemple, notre moi expérimentant souffrira davantage si l’opération est longue avec des pics de douleurs élevés, même si la fin est positive. Notre moi mémoriel quant à lui gardera un meilleur souvenir de cette opération que de celles très courtes avec un unique pic de douleur élevé et une fin douloureuse.

Notre moi mémoriel néglige la durée d’une expérience et se remémore la moyenne des ressentis. Le poids des derniers instants est particulièrement lourd dans le poids de la moyenne. Ainsi, lors d’événements marketing et d’expérience en magasin, nous devons nous concentrer principalement sur la fin de l’événement et sur des pics d’intensité émotionnels plutôt que sur le ressenti global. C’est ça qui importe le plus. Rappelez-vous de Game Of Thrones, série exceptionnelle finie à la va-vite. La fin ne doit représenter que 5% de l’expérience vécue en regardant la série. Pourtant, ça gâche tout le souvenir que nous pouvons en avoir.

On confond l’expérience avec le souvenir que l’on en a. Là se pose un problème majeur : nous prenons nos décisions et choix futurs essentiellement sur nos souvenirs d’expérience passée.

Toutes nos décisions peuvent donc être biaisées par nos souvenirs auxquels il faut ajouter les biais du système 1 comme l’effet de halo ou l’heuristique de l’affect.

L’analyse de notre monde par le biais de l’histoire

« Homo Narrens »

De tout temps les Hommes ont transmis leurs connaissances, leurs rites et leurs pratiques à travers des histoires. Soit des récits de chasse inscrits sur les murs des cavernes, des mythes et des religions, des récits historiques ou des récits de pure fiction. Nous sommes des « homo narrens ».

À travers notre moi mémoriel nous revivons notre propre histoire mais aussi l’histoire des autres et l’histoire collective. Les règles du moi mémoriel s’appliquent aux bonnes histoires. Une bonne histoire repose sur des événements significatifs, des moments mémorables avec une négligence totale de la durée.

Ce qui compte vraiment, quand nous évaluons intuitivement des épisodes de ce genre, c’est la détérioration ou l’amélioration progressive de l’expérience en cours, et comment la personne se sent à la fin.

Le bien-être, plus une histoire qu’une expérimentation

L’attention que nous accordons aux gens prend souvent la forme d’une inquiétude pour la qualité de leur histoire, pas pour leurs sentiments.

Il en est de même pour nous. Quand nous allons juger notre vie nous allons utiliser le principe du moi mémoriel et reposer sur des événements marquants et non notre bien-être global. Nous allons juger la qualité de notre histoire et non ce que l’on a ressenti en la vivant.

Le bien-être expérimenté n’est donc pas le seul facteur qui nous rend heureux dans notre vie. Notre bonheur global dépendra de notre hérédité, de notre capacité à atteindre nos objectifs et à mener une bonne vie pour améliorer notre histoire.

L’illusion de concentration

Rien dans la vie n’est aussi important que vous le pensez au moment où vous y pensez.

Plus précisément, les éléments de notre vie sur lesquels nous nous concentrons prennent une place prépondérante dans notre esprit. C’est extrêmement intéressant quand on reprend l’exemple de la voiture neuve donnée par Daniel Kahneman. Quand on achète une nouvelle voiture on est très content au début puis le temps passe et elle ne nous apporte plus aucun plaisir particulier. Sauf si l’on nous demande ce que nous pensons de notre voiture.

Le truc c’est qu’on pense rarement à notre voiture. C’est le cas de beaucoup d’acquisition et même de la majorité d’entre elles. C’est pour ça que les nouveaux riches ou les jeunes mariés sont très heureux au début puis le bonheur se stabilise voire décroit. Ce n’est plus une nouveauté, nous ne sommes plus concentrés sur cette source de bonheur mais sur de futures sources potentielles ou de nouveaux problèmes.

De ce fait notre bonheur dépend fortement de l’histoire que nous nous racontons de notre vie, des moments marquants que nous avons vécus ou non, de nos objectifs que nous avons atteints ou non. Notre bonheur dépend de ce sur quoi nous nous concentrons et non sur la qualité réelle et globale de notre vie et le bonheur que nous avons pu en expérimenter au fil du temps.

Conclusion

Daniel Kahneman conclu sur notre société actuelle reposant essentiellement sur la liberté. Liberté permise sous couvert que l’homme pense et rationalise tous ses choix et qu’il est prêt à prendre les bonnes décisions et d’assumer ses choix.

L’auteur vient nous rappeler une dernière fois à quel point nous sommes biaisés, à quel point nous pouvons commettre des erreurs. C’est pour cela qu’il propose une solution : changer la politique publique pour permettre d’aider les personnes, les accompagner dans leur choix et les aider dans leurs erreurs.

Cela peut être une bonne idée et c’est d’ailleurs la direction qu’a prise la France il y a fort longtemps. Personnellement j’accompagnerai ceci par une autre stratégie. Ne pas se contenter de materner les personnes mais les responsabiliser en parallèle. Des outils existent pour nous aider à mieux gérer nos émotions : philosophies, psychologie, méditations. Des outils ont été conçus pour nous aider à améliorer notre prise de décision.

Je pense que c’est là-dessus que repose la véritable liberté des personnes : offrir la compréhension de leurs systèmes cognitifs ainsi que les outils permettant de pallier les erreurs qu’elles sont sensibles de commettre.

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