Combien d’articles avons-nous lu concernant la pratique espacée ? Tous donnent les mêmes conseils, suivez la courbe de l’oubli, utilisez le système Leitner et surtout : faites des flashcards avec Anki. Un apprentissage optimal ne peut pas se résumer à ça.
La répétition espacée s’intègre à toutes les méthodes d’apprentissage et ne devrait pas être utilisée comme simple technique de mémorisation. Dans cet article j’espère réussir à vous montrer la force véritable de l’échelonnement des répétitions et son adaptation à la phase de compréhension, d’apprentissage, de révision et surtout de pratique d’une connaissance.
Chaque connaissance a son utilité propre. Chaque connaissance doit faire l’objet d’un apprentissage spécifique. Pratiquez le metalearning avant de vous plonger dans l’apprentissage. Cessez d’utiliser systématiquement les flashcards et des applications d’apprentissage qui ne sont pas forcément adaptées à votre domaine.
Droit, médecine, développement informatique, intelligence artificielle, mathématiques, langues. Tous les sujets s’apprennent différemment. Chaque partie de ces sujets peut trouver sa méthode de révision propre. L’espacement correctement appliqué peut vous permettre de mieux apprendre et mieux retenir les connaissances nécessaires.
Si vous avez 10 heures pour apprendre quelque chose, il y a plus de sens à travailler une heure par jour pendant 10 jours que 10 heures intenses en une seule fois. – Scott Young
Apprendre beaucoup de choses est possible. Pour aider la mémorisation, espacez la pratique mais pour développer de véritables compétences, alliez cette approche à d’autres techniques de mémorisation et de compréhension : pratique délibérée, pratique entrelacée, récupération et surtout pratique directe. Employez tous les outils à votre disposition.
Mon but dans cet article est de vous aider à apprendre certaines de ces techniques pour que vous puissiez les adapter à votre apprentissage.
De la nécessité de la difficulté
Je le répète dans tous mes articles et j’y ai même dédié une page : la difficulté est désirable. Elle est absolument nécessaire.
Paradoxale, elle impose de fournir des efforts qui seront récompensés : on retient mieux et plus facilement une information sur laquelle nous avons particulièrement bloqué.
C’est un indicateur, elle montre que l’on est en train d’apprendre. Si vous avez des difficultés à mémoriser ou à comprendre, c’est signe qu’un progrès est possible. Sans difficulté aucun progrès n’a lieu, quand le sujet devient facile c’est qu’il est connu. Le temps permet d’instaurer de nouveaux accrocs : c’est là tout l’objet de la pratique espacée
La courbe de l’oubli
La courbe de l’oubli d’Ebbinghaus vous permet de comprendre la baisse de la mémorisation avec le temps. Plus le temps passe, plus on oublie et on oublie très vite. C’est la base de l’espacement : empêcher d’oublier.
Toutefois, on peut changer notre perception du concept d’oubli. Et si il était salvateur ? En effet, la courbe de l’oubli peut nous servir d’outil d’intégration de difficulté volontaire.
Si la difficulté est moteur d’apprentissage, espacer volontairement la pratique au point de réintégrer de la difficulté, permet de mieux apprendre.
Espacer la pratique permet d’utiliser cet oubli naturel à notre avantage : cela nous permet de mieux apprendre, non pas en espaçant pour chercher à retenir, mais en espaçant pour mieux oublier.
Pour en savoir plus je ne peux que vous inviter à consulter mon article à propos de la courbe de l’oubli ou j’explore bien plus en détail cet aspect de l’apprentissage.
La méthode Leitner
© Wikipedia
La méthode Leitner peut être vue comme une manière d’appliquer la courbe de l’oubli. Elle est redoutable pour apprendre par cœur des faits, des mots et autres. C’est cette méthode qui est à la source des applications de flashcards comme Anki.
Expliquée simplement la méthode Leitner vous invite à grouper des flashcards par niveau de maîtrise. Au départ, toutes vos flashcards sont au niveau 1 dans lequel nous partons du principe que vous ne connaissez rien. Le niveau maximum est une connaissance par cœur et profonde.
La méthode Leitner vous invitera donc à commencer au niveau 1, les connaissances mieux maîtrisées passent au niveau 2, leur révision sera plus espacée. Ensuite nous passons au niveau 3 et ainsi de suite selon votre connaissance de l’information.
Plus la maîtrise est grande et plus les cartes avancent de niveaux en niveaux ce qui aura pour effet d’espacer l’exposition à la connaissance. Une connaissance méconnue restera à son niveau actuel.
Cette méthode est extrêmement efficace mais n’est pas le reflet exact des techniques de l’échelonnement, ce n’est qu’une application de celle-ci. Cette méthode me dérange car bien qu’elle soit redoutable pour mémoriser facilement des faits, elle ne présente qu’un aspect des possibilités offertes par l’espacement : les flashcards espacées via la progression. Je pense que l’on peut pousser la technique de l’espacement beaucoup plus loin. Voyons cela.
Pourquoi espacer la pratique ? Une excellente aide à la mémorisation
La pratique espacée améliore considérablement la consolidation mémorielle. Elle affecte directement le fonctionnement naturel de l’apprentissage.
L’exposition à une information l’ancre dans la mémoire à court terme. Elle disparaît ensuite fidèlement à la courbe de l’oubli. Si l’on veut l’ancrer dans la mémoire à long terme nous allons devoir la répéter. Répéter l’exposition rend la connaissance à nouveau malléable dans l’esprit. Nous la recherchons et lui créons de nouveaux liens neuronaux. C’est la clé de l’apprentissage efficace : contextualiser et conceptualiser la connaissance en lui offrant de nouvelles liaisons neuronales.
Cette malléabilité, cette création de nouveaux liens permet de renforcer le poids de nos structures mentales. À chaque répétition la modélisation de la connaissance, la profondeur des sillons et liens mentaux est plus forte.
Espacer la pratique permet de mieux retenir, de mieux comprendre la connaissance à chaque fois que nous y sommes exposés. Bien-sûr, ce n’est pas en répétant simplement des flashcards une fois par jour que vous comprendrez mieux votre problème mathématique. Comme je l’ai dit, l’échelonnement ne repose pas uniquement sur l’espacement d’un exercice, elle peut être bien plus riche que cela.
Comment mémoriser grâce la répétition espacée ?
Je viens de l’exposer : l’idée de cette pratique n’est pas simplement d’espacer l’exposition à la connaissance pour l’apprendre par cœur. L’idée est de renforcer la modélisation de votre connaissance. Vous devez donc espacer la pratique la plus à même de renforcer la maîtrise de votre connaissance.
Vous mémorisez des mots ? Espacez des flashcards. Vous apprenez à coder ? Espacez vos avancées dans des projets complexes. Vous apprenez les sciences sociales ? Espacez des méthodes Feynman.
La pratique espacée, entrelacée avec d’autres apprentissages et variée produit une meilleure maîtrise, une meilleure rétention de l’information et plus de versatilité. – Auteurs de Mets Toi Ça Dans La Tête
Réviser, apprendre à conduire, apprendre une langue, mémoriser un texte entier, au même titre que la récupération, l’échelonnement de la pratique agit tellement sur notre fonctionnement cérébral naturel qu’elle prend sa place au sein de toutes les pratiques de mémorisation et de compréhension.
Associer la pratique espacée à la pratique directe
Quand vous allez vous exercer à la pratique directe, quand vous travaillez sur un projet qui simule l’usage réel de votre connaissance vous projetez toutes vos connaissances actuelles dans leur environnement d’application.
Lorsque vous créez un site internet pour apprendre, vous n’apprenez pas seulement le développement mais tout l’environnement de production d’un véritable projet. Quand vous parlez avec un interlocuteur étranger, vous ne répétez pas seulement des verbes irréguliers mais vous déployez la totalité de votre maîtrise de la langue.
La mémorisation seule n’est pas suffisante à la maîtrise. C’est la mémorisation, la compréhension et la capacité à projeter cette connaissance qui en sont les fondements.
Si la répétition espacée est essentielle à l’apprentissage profond, son association à la création d’un projet concret est essentielle au développement d’une réelle maîtrise du sujet. Rappelez-vous, la répétition rend à nouveau malléable la connaissance et la re-consolide de plus belle par la réapparition de la difficulté.
Ainsi, quand vous espacez régulièrement votre exercice de projets concrets, vous recréez systématiquement des liens neuronaux dans leur environnement, vous créez des liens très plastiques et adaptables. En travaillant ainsi, nous n’enracinons pas seulement la connaissance dans notre esprit mais aussi notre capacité à utiliser la connaissance dans des conditions réelles.
Espacer les répétitions par l’entrelacement
L’espacement temporel n’est pas le seul échelonnement à notre disposition. Pour remettre de la difficulté et forcer l’écart entre les répétitions nous pouvons pratiquer plusieurs sujets ou plusieurs types d’exercices à la fois. D’ailleurs, la pratique directe que nous venons tout juste d’aborder emploie naturellement l’entrelacement.
En alternant les exercices, nous apprenons à appliquer la connaissance dans différentes situations. En entrelaçant les sujets, nous nous permettons d’oublier l’un pour apprendre l’autre : nous espaçons plus naturellement.
Quel est l’avantage d’une telle pratique ? Le temps a un problème majeur : il en prend. Aussi sommes-nous pressés et impatients. Espacer la connaissance temporellement nous force à étaler notre apprentissage. Entrelacer les sujets optimise le temps. Nous mettons en parallèle les apprentissages. Quand vous apprenez vos verbes irréguliers puis la grammaire anglaise, quand vous apprenez l’algorithmie puis le Git : vous parallelisez votre apprentissage.
Une telle pratique demande de l’énergie. Quand nous avons bien espacé temporellement et que nous pratiquons une nouvelle matière, l’épuisement peut survenir. Ne cherchez pas à paralleliser à outrance ni trop rapidement. Comme souvent, le mieux est l’ennemi du bien. Commencez petit, commencez par espacer dans le temps puis commencez à entrelacer.
Espacer la méthode Feynman pour comprendre et mémoriser
La méthode Feynman est un puissant outil d’apprentissage et de compréhension. Cette méthode repose sur la méthode d’apprentissage de la récupération, sur des techniques de compréhension directement liées au fonctionnement cérébral. Richard Feynman, prix Nobel de physique et créateur de cette technique, utilisait cette méthode pour mieux comprendre les phénomènes physiques et comme une aide pour les mémoriser.
Comment pouvons-nous l’échelonner ? C’est assez simple. La méthode Feynman nous invite à expliquer un phénomène à un profane avec des mots simples. C’est l’ultime compréhension : la capacité à expliquer simplement. Pour arriver à un niveau optimal, nous allons tenter la méthode, faire des explications imprécises, revenir au matériel pédagogique d’origine puis tenter d’expliquer à nouveau. À force, notre explication s’affine. Notre compréhension se précise.
L’idée sera de répéter intensément jusqu’à obtenir une explication suffisante mais imparfaite pour attendre ensuite. Attendre d’oublier, attendre pour réinjecter une dose de difficulté puis recommencer. Je n’ai pas nécessairement de délais à vous donner, c’est à vous d’estimer la difficulté que vous pouvez réintégrer.
Attendez puis réexpliquez et ainsi de suite. En respectant l’espacement de la répétition graduel cette approche permet réellement de mieux comprendre et de mieux assimiler vos sujets d’étude.
Espacer des exercices
Je vous ai déjà expliqué que la pratique dirigée est la meilleure manière d’apprendre à tous les points de vue. Pourtant, certaines compétences nécessaires à la réalisation d’un projet complexe demandent une pratique particulière, orientée davantage sur des exercices.
Les Anglais appellent cela des « drill ». Le drill peut être assimilé à des actions composantes d’une pratique. Ces exercices ont pour but d’ancrer la connaissance tellement profondément qu’elle devient procédurale, elle devient naturelle. Dans les forces armées ce type d’exercice est souvent employé. Dans la pratique de la guerre, de nombreuses actions viennent se greffer : s’abriter, combat rapproché ou tir au fusil. Ces pratiques doivent être un automatisme pour réagir au plus vite.
Prendre la même logique est intéressant pour apprendre quoi que ce soit. Quand on apprend à écrire, on peut tout simplement lire et écrire intensément pour tenter de développer sa prose. On peut aussi suivre une méthodologie proche de celle de Benjamin Franklin et créer des exercices plus précis échelonnés dans le temps. Franklin, tout en écrivant quotidiennement pour ses affaires, effectuait différents types d’exercices. D’abord, il annotait des articles écrits par d’autres pour en tirer une logique. Quelques jours plus tard, il tentait de reproduire l’article de mémoire. Il lui arrivait aussi de transformer l’article en poème pour développer son vocabulaire ou alors il notait les arguments sur des feuilles puis les mélangeait afin de re-déterminer la structure argumentative du papier.
Bref, Franklin décomposait l’acte d’écrire en différents exercices lui permettant de pratiquer tous les composants essentiels du bon essai ou du bon discours.
Nous pouvons nous aussi employer cette méthode, décomposer nos projets concrets en exercices à pratiquer. Ensuite, nous pratiquerons ces exercices de manière entrelacée ou suivant un simple espacement temporel : la boucle est bouclée, ils nourrissent notre pratique dirigée.
Comment structurer nos répétitions espacées ?
Cette approche n’en est qu’une parmi d’autres. Ne la suivez pas à la lettre, elle ne saurait s’appliquer à tous les domaines. C’est-à-vous de déterminer la meilleure approche pour le vôtre.
- Identifiez un projet concret sur lequel travailler : ce projet devra être un fil rouge. Il doit représenter la pratique réelle et simuler les véritables conditions d’exercice de votre pratique. Si vous apprenez pour un examen, simulez l’examen. Par exemple pour apprendre à développer, j’ai lancé la création d’une application web, pratique réelle de mon apprentissage.
- Décomposez votre projet en drill : identifiez des exercices pratiques qui renforceront votre pratique concrète. Si vous n’avez pas encore une idée claire ne vous inquiétez pas. En commençant votre projet vous rencontrerez des problématiques qui devront être résolues par la compréhension puis renforcées par les drills espacés. Par exemple pour le codage, j’ai très vite été bloqué sur la mise en place des interfaces de connexion. Cela me demandait un apprentissage nouveau du langage React appelé le Context associé aux Hooks. J’ai donc identifié des exercices me permettant de m’entraîner sur ces principes du langage React afin de mieux comprendre leur implication générale.
- Créez un calendrier de travail : Tout en poursuivant votre projet fil rouge, commencez à faire vos drills tout en appliquant la méthode Feynman. Dans mon exemple du codage, j’appliquais la méthode Feynman pour mieux comprendre les concepts de React dans leur ensemble mais j’ai aussi pratiqué des applications concrètes de Hooks et de Context pour les comprendre dans une application plus globale que la seule interface de connexion. Au départ, je pratiquais ces exercices quotidiennement. Mieux je comprenais, mieux je réussissais mes drills et plus j’espaçais la pratique.
À la fin vous aurez fini votre projet fil rouge comme n’importe qui. La différence avec un autre, c’est que vous pourrez le recommencer bien plus rapidement et bien plus facilement : vous aurez développé des compétences réelles en vous exerçant et en espaçant des exercices plus précis.
Pour le temps à allouer et l’espace donné je ne peux vous donner qu’un seul conseil : essayez. Cela dépend de votre mémoire, de votre emploi du temps, de vos affinités avec le domaine. Essayez et calibrez au fur et à mesure l’espacement entre les répétitions.
La difficulté est votre cap. Calibrez suivant cet indicateur. Si c’est extrêmement difficile, espacez de quelques minutes puis quelques heures. Ne vous imposez pas immédiatement des écarts plus importants ni n’entrelacez.
Dans un monde mouvant, apprendre efficacement est primordial. Cela passe par un travail de mémorisation et de compréhension pour mieux retenir l’idée d’un sujet. L’approche décrite dans cet article paraît plus lente qu’un acharnement intensif mais elle permet réellement d’apprendre plus rapidement sur le long-terme.
Image à la une © Joshua Coleman